1 ° Au sens de l’article 8 du dahir Sur l’organisation judiciaire, toute action tendant à faire déclarer débitrice une administration publique. à raison de tout action de sa part ayant porté préjudice à autrui, ressortit de la compétence des tribunaux créés par le dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913). Statuant en matière administrative.
Toutefois, en cas de voie de fait, ces juridictions statueraient en matière civile.
L’emprise immobilière, qui n’est pas accompagnée de voie de fait. Ne peut donc servir de fondement qu’à une action»en matière administrative.
2°Il en résulte que le pourvoi en cassation n’était pas ouvert aux parties contre les arrêts relatifs à une emprise immobilière, rendue antérieurement au 23 octobre 1957, date d’entrée en vigueur du dahir relatif à la Cour suprême.
Consorts Félix c/ Etat chérifien.
4 décembre 1958
Dossier n°667
Vu le recours et le mémoire ampliatif présentés 26 juillet 1957 et le 15 janvier 1958 au nom des consorts Félix par Me Morillot, avocat à la Cour de cassation séant à Paris, et par lesquels il est demandé à ladite Cour de casser pour violation de la loi, défaut d’observation d’une formalité substantielle,
Défaut de motifs et manque de base légale, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rabat le 26 mars 1957 dans l’instance pendante entre lesdits consorts Félix et l’état chérifien (Service des Domaines). en ce que ledit arrêt :
1° n’indique pas que le ministère public ait été entendu en ses conclusions alors que la cause étant communicable, cette formalité a un caractère substantiel et que, par cette omission, l’arrêt n’a pas mis la cour de cassation à même de vérifier que toutes les formes
imposées par la loi à peine de nullité avaient été respectées ;
2° a déclaré irrecevable l’action des consorts Félix parce qu’ils n’avaient pas appelé en cause l’agent judiciaire du Trésor, alors; d’une part; qu’il n’appartient pas aux juges de soulever ‘office une nullité d’intérêt privé telle que celle de la requête introductive
D’instance invoquée en l’espèce, et que, d’autre part, une nullité de cette nature ne saurait être soulevée qu’in li
mine litis, et non en cause d’appel, et, par surcroît, après que le
Défendeur ait conclu au fond :
3° a déclaré statuer en matière administrative alors que, s’agissant d’une demande d’indemnité pour occupation irrégulière, sans droit ni titre, d’une propriété privée par ‘administration, le litige ne pouvait ressortir qu’au contentieux judiciaire ;
Vu l’arrêt attaqué ;
Vu le mémoire produit au nom de l’état ( service des domaines ) par Me baissière ; avocat a’ rabat prés la cour suprême au rejet du recours comme nom fondé
Vu le mémoire en réplique présenté le 2octobre 1958 pour les consorts Félix par Mme part –espouey et Blain avocats ;ils font valoir que les arguments ;exceptions et fins de non-recevoir opposés par l’état sont dénués de pertinence :
Vu le dahir du 2 rebia 1377 (27 septembre 1957) et ceux qui l’ont modifié ou complété ;
Vu le dahir du 9 ramadan 1331 (12 aout 1913) sur l’organisation judiciaire modifié par le dahir du 16 rebia 1347 ( ler septembre 1928) ;
Attendu que l’arrêt attaqué de la cour d’appel de rabat ; intervenu dans le litige opposant les consorts Félix et l’état marocain porte que cette juridiction statué en matière administrative
Attendu qu’ en vertu de l’article 8 ;avant –alinéa .du dahir sus du 9 ramadan 1331 (12 aout 1913 ) en vigueur a’ la date rendu l’arret précité ; aucun recours en cassation ne cas de violation des alinéas 4 et 5 du mémé article
Attendu il est vrai ;que les requérants soutiennent qu’ en déclarant statuer en matière administrative : la cour d’appel a ; en l’espèce ;méconnu la nature de ses pouvoirs ; qu’en effet la cause de l’action en indemnité intentée par les consorts félix contre l’état marocain étant fondée sur l’emprise a’ laquelle ce dernier se serait livre sur l’immeuble des plaignants ; il appartenait a’ l’ autorité judiciaire , gardienne de la propriété privée , d’y statuer selon les règles du droit civil ;
* Attendu que l’organisation judiciaire du royaume du Maroc, telle qu’elle résulte du dahir du 9 ramadan 1331 (12 aout 1913) et des textes subséquents, comporte un ordre unique de juridictions, compétentes à la fois en matière civile et en matière administrative ; que l’article 8, premier alinéa, dudit dahir, comprend au nombre des instances relevant de cette dernière matière celles qui tendent à
faire déclarer débitrices les administrations publiques
notamment» à raison de tous actes de leur part ayant porté préjudice à autrui»; que ces dispositions n comportent aucune exception ni réserve et que dés lors toute action en responsabilité dirigée contre l’état, y compris celle qui serait fondée sur une emprise,
ressortit au contentieux administratif, hormis le cas ou l’administration aurait commis un acte insusceptible de se rattacher d’une manière quelconque à l’exercice des pouvoirs dont
elle est investie, qu’ainsi, contrairement à ce qu’il est soutenu au pourvoi, la cour d’appel a fait une exacte application de la loin, en déclarant statuer en matière administrative sur l’appel dont elle était ;que dés lors ledit pourvoi , qui émane d’une des cause n’ était pas recevable ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi formé par les consorts Félix.
Président : M. Theis. Rapporteur : M. Chabert. Avocat général : M.Magid Benjelloun.
Observations
Bien qu’il oppose au pourvoi des consorts Félix un motif d’irrecevabilité reposant sur une disposition législative aujourd hui abrogée, cet arrêt présente un intérêt permanent en ce
qu’il définit l’étendue de la»matière administrative»au sens de ‘article 8 du dahir d’organisation judiciaire. La cause du préjudice invoqué par les requérants tenait à l’emprise dont ‘administration ne serait rendue coupable sur un de leurs immeubles, emprise résultant
du fait que la procédure d’expropriation sur laquelle s’était fondée ‘administration pour prendre possession de cet immeuble avait été ultérieurement déclarée nulle. S’inspirant sans doute de la jurisprudence française du Tribunal des conflits, la juridiction de première instance avait déclaré statuer»en matière civile», puisqu’aussi bien en France ce sont les juridictions judiciaires, gardiennes de la propriété privée, qui sont compétentes, en pareille
hypothése, par exception au principe selon lequel seules les juridictions administratives ont
qualité pour prononcer des condamnations pécuniaires en raison de fautes des services publics. La cour de Rabat, réformant sur ce point le jugement du tribunal s’était
prononcée»en matière administrative». Cette divergence n’était pas dénuée d’ intérêt pratique pour les parties puisque, en vertu de la législation alors en vigueur, si le tribunal avait raison, celles-ci Pouvaient former un recours en cassation, alors que ce dernier leur était interdit si la cour avait exprimé la vérité juridique.
C’est dans ce second sens qu’a prononcé la cour suprême. Elle a estimé que la» matière administrative» englobait toutes les actions
pécuniaires fondées sur des actes dommageables des administrations publiques et que, par suite, le pourvoi formé par une des parties en cause avant ‘abrogation de l’avant-dernier alinéa de l’article 8 du dahir sur l’organisation judiciaire était irrecevable. Mais il résulte
encore de cette décision, et ceci demeure valable pour l’avenir,
que les règles selon lesquelles dot être appréciée la responsabilité
des administrations publiques sont les mêmes dans tous les cas, quelle que soit la nature du dommage : celles du droit administratif et non celles du droit civil.
La haute juridiction a toutefois réservé ‘hypothèse de la» voie de fait», qui se définit comme étant l’acte insusceptible de se rattacher d’une manière quelconque à l’exercice des pouvoirs que devient l’administration Ici, en effet, on ne se trouve plus, quant au fond,
Devant un problème de droit administratif, mais devant le pur et simple quasi-délit, dont il n’y a pas lieu d’apprécier les conséquences dommageables à la lumière de règle exorbitantes du droit commun.
Ainsi se trouve dissipée que l’espèce mémé avait fait clairement apparaitre par la contradiction manifestée les deux juridictions du fond.
Extrait de la revue marocaine de droit ;1-2-1959 ;j ;p 59